L’autonomie des œuvres d’art dans le domaine des nouvelles technologies

Michel Bret, professeur émérite des universités, 2005

 

1 Résumé

 

            L’étude historique des évolutions parallèles de l’informatique, des sciences cognitives et des neurosciences permet de reconsidérer la création artistique dans un contexte culturel en pleine mutation. En particulier le rapport art-science ne peut plus être pensé seulement en termes d’opposition ou de complémentarité, le concept d’interactivité prend une nouvelle importance avec le couple perception-action à l’œuvre aussi bien chez les organismes vivants que dans les systèmes artificiels construits sur des modèles biologiques. A cet égard le connexionnisme, avec les réseaux neuronaux, et l’évolutionnisme, avec les algorithmes génétiques et la programmation génétique, reposent le rapport du créateur avec son œuvre. Celle-ci, douée d’une perception et d’une action artificielles, fait preuve d’une véritable autonomie.

            A travers plusieurs exemples d’installations interactives utilisant ces notions, je tenterai de sensibiliser le public à ce qui pourrait être considéré comme un renouvellement des pratiques artistiques dans le domaine des nouvelles technologies.

 

2 Historique

 

            Edmond Couchot et Marie-Hélène Tramus ont fait référence plusieurs fois, dans leurs interventions,  au terme d’autonomie. Un bref rappel historique permettra de mieux comprendre de quoi il s’agit : Dans les années 40-50 la Cybernétique avait découvert un territoire commun à l’artificiel et au naturel en introduisant la notion de boucle rétroactive (ou feed-back) qui conduisait à faire du contrôle homéostatique une propriété commune du vivant et de la machine. Les robots et les automates ainsi contrôlés, s’ils savent bien s’adapter à des variations limitées de leur environnement, sont incapables de survivre dans un environnement radicalement nouveau, alors que les organismes vivants savent le faire, ceci grâce à une remarquable propriété d’auto organisation  (une autopoièse selon Varela) : Le simple bouclage des sorties sur les entrées qui caractérise l’homéostasie est complétée par un bouclage sur l’organisme l’amenant à se modifie lui-même de façon à survivre dans des conditions nouvelles. Un des aspects les plus frappants des systèmes nerveux des animaux qui en sont pourvus est leur très grande plasticité : Les actions d’un organisme sur son environnement provoquent la perception de celui-ci par celui-là, et ce couple perception-action passe par un réseau complexe de neurones massivement interconnectés. La réorganisation spontanée de ce système au cours d’apprentissages fait émerger des comportements adaptés. Nous avons utilisé certains modèles fournis par le connexionnisme, comme les réseaux neuronaux, pour doter nos créatures artificielles d’une certaine autonomie.

D’autres méthodes, comme les algorithmes génétiques issus de l’évolutionnisme, peuvent aussi être très utiles, je n’en parlerai pas dans cette intervention mais je crois qu’Alain Lioret y fera référence dans son intervention de cette après-midi.

 

3 Qu-est-ce qu’est un réseau neuronal ?

 

         Avec un programme interactif j’explique d’abord ce qu’est un neurone artificiel : Une simulation de neurone naturel muni d’entrées (dendrites) et d’une sortie (axone). Le neurone calcule une somme pondérée (par des poids figurant les synapses) de ses entrées et répond si cette somme dépasse un certain seuil.

Une fonction de transfert sigmoïde permet d’assouplir la réponse en la rendant plus conforme à ce qui se passe réellement dans un neurone biologique. (figure 1)

 

Figure 1 : Neurone artificiel

 

Je montre ensuite le fonctionnement d’un réseau de tels neurones dans le cas particulier d’un réseau feedforward (visualisation de la matrice des poids et de la circulation de l’influx nerveux) (figure 2).

 

 

           

Figure 2 : Réseau feedforward et sa matrice des poids

 

Ensuite, avec un autre programme interactif, je montre comment un apprentissage d’un tel réseau de neurones permet, très rapidement et très simplement, d’apprendre à un petit personnage de synthèse de se tenir debout lorsqu’il est placé dans un champ de pesanteur (figures 3, 4 et 5).

 

Figure 3 : Chute dans un champ de pesanteur

Figure 4 : Stockage des mouvements d’apprentissage

 

Figure 5 : Apprentissage

 

4 Réalisations artistiques

 

4-1 La funambule virtuelle

            Cette installation, que j’ai réalisé avec Marie-Hélène Tramus, permet au spectateur de devenir, pour quelques instants, un funambule interagissant avec un acrobate de synthèse. Le spectateur, muni de capteurs (dans cette démonstration de simples accéléromètres fixés sur une ceinture), communique à l’acteur de synthèse des mouvements de déséquilibre, celui-ci tente alors de rétablir son équilibre en interrogeant un réseau de neurones préalablement entraîné (figure 6).

 

Figure 6 : La funambule virtuelle

 

4-2 Danseuse autonome

            Un personnage de synthèse plus sophistiqué interagit avec un environnement complexe : Musique, paroles, gestes, … Comme la funambule ses comportements sont générés par des réseaux neuronaux, mais ces réseaux peuvent être entraînés en temps réel. Pour en faire la démonstration l’acteur virtuel est mis dans un état particulier lui permettant d’accumuler en mémoire un ensemble d’expériences interactives avec un spectateur : Celui-ci danse librement sur une certaine musique et l’acteur virtuel repère des mouvements qu’il présente en entrée et en sortie au réseau lequel est entraîné (par la méthode de la rétropropagation de l’erreur) et s’auto configure automatiquement en temps réel (figure 7). A l’issu de cet apprentissage la danseuse artificielle est alors capable d’interpréter librement la même musique, mais elle peut aussi danser sur n’importe quelle autre musique montrant ainsi la propriété de généralisation des réseaux neuronaux (figure 8).

 

Figure 7 : Apprentissage

 

Figure 8 : Danse libre