Espaces
Mes études de mathématiques et la pratique de la peinture m'amenèrent
à réfléchir sur la notion d'espace et de sa représentation. Il me semblait
que les avancées de la science (théorie de la relativité généralisée) devaient
avoir une influence sur les arts. J'entrepris alors d'étendre la notion de perspective
classique linéaire à des espaces courbes. Les géodésiques de tels espaces
donnaient lieu, par projection dans notre espace euclidien 3D, à des courbes sur
lesquelles il était possible de généraliser les procédés de la perspective conique
inventée au quatroccento. Par exemple le point de fuite (projection du point à
l'infini d'intersection de droites parallèles) devenait une "courbe de fuite" à laquelle les
projections de toutes les géodésiques "parallèles" étaient tangentes. Lorsque la perspective
change (déplacement de l'observateur) ces courbes de fuite engendrent une
"surface de fuite". Je réalisais de nombreuses peintures sur ce principe:
Olympe 1963
Sans titre 1963
Corrida 1964
Paysage 1964
L'orchestre dans l'espace 1966
Paysage 1968
Scène de rue 1969
Morerbaforda 1971
Tassilik 1971
Puente estrellas 1971
Ville 1971
Vu 1972
Plus tard (à partir de 1976), lorsque je rencontrais l'informatique à l'Université Paris 8 de Vincennes,
je développais des systèmes de
intégrant les notions de perception et de temps:
L'algorithme traditionnel unique de projection conique était alors remplacé par un "acteur regardant",
c'est à dire un objet (au sens de la programmation orientée objet) observant interactivement son
environnement et adaptant sa procédure de mise en perspective non seulement en fonction de ce qu'il
regarde (proche ou loin, fixe ou en mouvement, ...) mais également en fonction de ce qu'il ressent
(intérêt porté à la scène regardée), de ce dont il se souvient (mémoire d'expériences passées) et
de ce qu'il projette de faire (décision prise suite à la perception visuelle). Toutes ces réflexions m'amenèrent
tout naturellement à m'intéresser aux
réseaux neuronaux
, à la
vie artificielle
et aux
algorithmes génétques.
Les inventeurs de la perspective du quatroccento
n'avaient pas hésité à tordre leurs propres règles (se livrant à une sorte de
rhétorique
sur l'image et la représentation).
Il m'avait semblé que cette liberté créatrice pouvait aussi bien s'appliquer à la synthèse: ainsi
l'interprétation de la projection perspective conique
d'une scène par la projection
cylindrique de cette scène déformée, pouvait donner lieu à toutes sortes de variations:
Par exemple animer cette scène déformée par de simples rotations.
Ou encore inverser cette déformation pour obtenire une sorte de
retournement de la perspective (1989).
Dans la plupart de mes
films j'utilise
de telles techniques.
Dans mes cours de synthèse d'image en ATI j'avais proposé l'écriture d'un "ray tracing"
basé sur l'intersection, non plus de rayons lumineux rectilignes avec le plan du tableau,
mais de géodésiques courbes dépendant de la disposition des objets de la scène 3D
(rayons lumineux courbés par les masses d'un espace relativiste). Il s'agit bien d'une
perspective adaptative, puisque le résultat dépend, non plus seulement de la position de
l'observateur, mais encore de la scène elle-même, et peut donc varier lorsque les objets
se déplacent. Un tel logiciel trouverait
des applications aussi bien pédagogiques (sensibilisation des étudiants à la théorie
de la relativité généralisée) qu'artistiques (interprétations visuelles d'une perception
que ne peut pas nous donner nos sens, mais que la science nous permet de concevoir,
mais n'est-ce pas là une extension de la perception ?)