LE CONNEXIONNISME: REPRÉSENTATIONS
Représentations propositionnelles
Modèles propositionnels
Le mode de transmission des connaissances par l´écrit
utilise implicitement le fait que le savoir peut être codé de
manière propositionnelle. Les théories s´expriment elles
aussi sous forme propositionnelle (le discours philosophique,
la logique mathématique, les modèles physiques, ...). Peut-on
en déduire pour autant que la cognition elle-même est de nature
propositionnelle ? C´est du moins ce que pensaient, jusqu´à une
époque récente, la
psychologie cognitive et l´intelligence artificielle.
Les premiers modèles de représentation cognitive ont d´abord
été de forme déclarative et basés sur une logique du premier
ordre: Une proposition est de la forme:
PREDICAT ARGUMENT 1 ARGUMENT 2 ...
Les propositions sont supposées permettre de construire les concepts
exprimés par les langages naturels. Par exeple la phrase "les objets
sont 3 ordinateurs de marque untelle" peut se représenter par:
(ORDINATEURS OBJETS) &e; (UNTELLE ORDINATEUR) &e; (NOMBRE OBJET TROIS)
Réseaux sémantiques
Dans les années soixante dix une approche par réseaux sémantiques
fut proposée: Des noeuds codent des concepts et les connexions
orientées codent des relations entrs concepts. Les noeuds et
les connexions sont designés par des symboles. Par exemple:
Des poids sont affectés aux connexions et une activation est
propagée à partir d´un concept. Par exemple, à partir de MERLE
l´activation arrive à VOLER (poids 0.9) mais, à partir de PINGOUIN
elle n´y arrive pas (poids nul), elle arrive à PLUME dans les
deux cas.
Représentations par images
Dans les années quatre-vingt une forme de représentation spéciale,
appelée représentations par images, fut élaborée pour caractériser
des tâches de type visuel ou spatial. Alors que les représentations
propositionnelles sont abstraites, discrètes et arbitraires, les
représentations par images sont plutôt analogiques et iconiques.
Un double codage de la mémoire fut alors proposé: L´information
visuelle serait codée dans des images mentales et l´information
de type discursif serait codée de façon propositionnelle. Il
existe une corrélation entre le temps d´une analyse et la distance
de deux représentations: Par exemple, dans la figure suivante, si
A est un objet vu dans une certaine position, il faut plus de temps
pour l´identifier à l´objet C qu´à l´objet B, or B = rota(A,.1*PI)
alors que C = rota(A,.4*PI), ce qui suggère que le système
perceptif se livre à une rotation simulée mentalement pour amener
A sur B ou sur C.
A
B
C
Jusqu´à une époque récente la représentation par images
était une alternative plausible à la représentation propositionnelle.
Mais le connexionnisme repose ce problème de façon plus fondamentale.
Savoir-faire
Systèmes experts
L´approche par système expert consiste à établir des
ensembles de règles qui produisent des performances en cherchant
à reproduire certains aspects du raisonnement humain. Elle a été
appliquée en particulier aux jeux d´échec, le diagnostique médical
et à la gestion des pannes dans les systèmes complexes (comme les
réseaux d´ordinateurs). Cela revient à simuler un savoir-faire
par une approche propositionnelle. Dreyfus [Dreyfus 86] a cependant
montré que de telles stratégies ne décrivent pas le développement
d´un savoir-faire que l´on peut observer en réalité:
1) Le novice applique les règles en dehors de tout contexte.
2) Le débutant modifie les règles en fonction du contexte
sans se référer à d´autres règles mais en invoquant une situation
déjà rencontrée.
3) L´exécutant compétent applique les règles non pas comme
une méthode mais comme une finalité: "Pour obtenit tel but, quelle
suite d´action entreprendre, quelles règles appliquer ? "
4) L´exécutant accompli est capable de repérer des ressemblances
globales entre la situation actuelle et une situation antérieure
pertinente qu´il utilise pour se fixer des buts.
5) L´expert est capable de juger globalement une situation
et de décider les actions à entreprendre sans passer par un
raisonnement causal linéaire. Interroge, il est généralement
incapable de justifier rationnellement ses choix et déclare avoir agi
intuitivement.
Un système expert ne traite que les points 1), 2) et 3) qui
déduisent des réponses d´un ensemble de faits aux quels s´appliquent
des règles. Les points 4) et 5) exigent une reconnaissance
holistique de ressemblance consistant, lors d´un apprentissage,
à mémoriser de très nombreuses situations, puis, lorsqu´une
situation nouvelle est rencontrée, de déterminer une situation mémorisée
semblable et d´appliquer une action semblable.
Perception théoriquement informée
Kuhn [Kuhn 83] a renouvelé l´approche empiriste et positiviste
de la perception conçue comme une activité immédiate et
objective n´ayant nul besoin de justification. En étudiant comment
les diverses révolutions scientifiques (Copernic, Darwin, Freud, Einstein, ...)
peuvent modifier les modalités de la perception, celle-ci apparaissant
comme théoriquement informée: Ce que nous voyons dépend de
ce que nous savons. La perception serait même une activite apprise
dépendant de connaissance non propositionnellement représentées. Par
exemple le cube de Necker peut être vu de dessus ou de dessous selon
la volonté consciente de l´observateur.
L´apprentissage des lois de la physique modifie le système perceptif
de façon à ce qu´il réagisse directement à des stimuli sans faire
de raisonnement. L´acquisition d´un nouveau savoir implique une
nouvelle façon de percevoir le monde, qu´il faut apprendre, non pas
en traduisant les anciennes perceptions dans un nouveau vocabulaire,
mais expérimentalement.
L´approche connexionniste
La reconnaissance de formes est décisive dans la perception
et la reconnaissance de situations semblables. Or les modèles
connexionnistes sont très performants dans la reconnaissance de formes et la détection de
régularités,
lesquelles sont
représentées par les poids du réseau qui sont une manière non
propositionnelle de coder de la connaissance. Les
réseaux neuronaux
semblent donc fournir les bons concepts pour traiter des
problèmes de représentation et de perception.
Bechtel [Bechtel 93] défend même la thèse selon laquelle le
raisonnement logique lui-même est le résultat d´un apprentissage:
L´approche symbolique
considérait la logique comme une
capacité cognitive innée, les règles fondamentales de la logique formelle
existeraient donc avant tout apprentissage, les conséquences de
ces règles, lorsqu´elles sont apprises, seraient codées comme de
nouvelles productions pouvant être exécutées. Mais il semble
que ce ne soit pas de façon déductive que l´on apprenne la logique
formelle mais plutôt en acquérant un certain savoir-faire qui est
à mettre en parallèle avec la façon dont les réseaux connexionnistes
codent des expériences lors d´un apprentissage avant d´être capables
de restituer des comportements cognitivement performants lors
de la résolution de problèmes nouveaux.
La reconnaissance de forme
Catégorisation
Une catégorisation est une mise en correspondance de plusieurs formes,
on distingue [Bechtel 93]:
1) La reconnaissance de forme qui est l´identification d´une
forme comme exemplaire d´une classe plus générale.
2) La complétion de forme qui est la reconstruction d´une
forme incomplète.
3) La transformation de forme qui est la mise en correspondance
de deux formes ayant des propriétés communes.
4) L´association de forme qui est la mise en correspondance
arbitraire de deux formes distantes.
La reconnaissance de forme intéresse au plus haut point la perception,
lorsque de nombreux récepteurs différents classent localement les stimuli
pour fournir des formes plus globales aux entrées de dispositifs de
reconnaissance de plus haut niveau, jusqu´à l´abstraction ultime
qui est un nom. Ces traitements se font en parallèle.
Nous allons voir que les réseaux connexionnistes sont d´excellents
dispositifs de reconnaissance, ils sont donc très bien adaptés à la
simulation de la perception.
Exemple du perceptron
Le programme
perceptron
(que l´on trouve sur les machines
d´A.T.I.) est un exemple de réseau à deux couches capable d´apprendre
n´importe quel ensemble de patterns et de reconnaitre, non seulement
tous ces patterns, mais encore n´importe quel pattern et de trouver
quel est le plus proche dans l´ensemble qu´il a appris.
Les patterns sont donnés sous la forme d´une liste de Np matrices
binaires de Nx * Ny éléments (valant 0 ou 1). Une
rétine
de Nx * Ny cellules d´entrées est automatiquement créée ainsi qu´une
couche de sortie de Np cellules.
Une matrice de Nx * Ny * Np floats,
initialisée aléatoirement, sert à stocker les poids des connexions.
Puis l´apprentissage commence: Chaque pattern est présenté successivement,
dans un ordre aléatoire, à la couche d´entrée. L´activation se propage
à travers le réseau et si une cellule de sortie réagit deux cas
peuvent se produire:
1) Si la reconnaissance a réussie, alors les poids
des connexions reliant les cellules actives de la rétine à cette cellule
sont augmentés de dp.
2) Si la reconnaissance a échouée (un autre pattern
a été reconnu), alors les poids des connexions reliant les cellules
actives de la rétine à cette cellule sont diminués de dp.
Lorsqu´il
n´y a plus d´erreur, ou si un nombre maximal de passes a été atteint,
l´apprentissage s´arrête. Puis commence la phase de test: Des patterns
sont présentés, à la demande, sur la rétine, et le réseau les
reconnait.
La correction de poids dp (ou constante d´apprentissage)
est fixée à 0.1 par defaut. Si on la fait diminuer (par exemple en
l´initialisant à 0.9 et en la multiupliant par 0.6 à chaque passe)
on constate une diminution du temps d´apprentissage. Pour un vocabulaire
de 10 patterns (les chiffres de 0 à 9) codés dans des matrices de
5 * 6 par exemple, le réseau apprend en 20 passes avec une constante
fixe de 0.1 et apprend en 9 passes avec un dp variable.
Exemple d´un réseau multicouche
On trouvera dans le cours
La vie ARTificielle un
exemple d´installation interactive,
la funambule virtuelle
(Bret Tramus 2000), utilisant un système de réseaux multicouches
associés à un personnage de synthèse traité en temps réel: Le
spectateur, tenant un balancier dans les mains, joue le rôle d´un
funambule réel, il voit sur un écran, en face de lui, un funambule
virtuel interagissant avec lui. Il ne s´agit pas d´un clone répétant
automatiquement les mouvements du spectateur, mais d´un
être artificiel, muni de perceptions (sous la forme d´un
capteur polhemus attaché au balancier) et capable de les
interpréter pour agir en retour grâce à un système comportemental
piloté par des réseaux neuronaux. Ceux-ci ont été entrainés
interactivement dans un premier temps (les réseaux apprenant en mode
supervisé quels gestes faire en réponse à des positions d´entrées données)
avec l´algorithme de la rétropropagation. Puis, dans la
phase interactive proprement dite, les réseaux produisent, grâce
à la propriété de généralisation des réseaux neuronaux, des
réponses adéquates pour n´importe quelles entrées, il s´ensuit une
interaction crédible et totalement imprévisible (parce que non
programmée).
Propriété de généralisation des réseaux
L´apprentissage en mode supervisé consiste à associer des sorties
à des entrées. L´apprentissage en mode non supervisé consiste à
classer des configurations d´entrée. Après de tels apprentissages,
un réseau est capable de généraliser, c´est à dire, soit
de fournir une sortie adéquate pour une entrée non apprise, soit
classer une nouvelle entrée dans un ensemble déjà reconnu. Dans
les deux cas le réseau utilise une ressemblance qui est
codée dans la matrice des poids des connexions. Rien ne prouve
que la ressemblance détectée par le réseau soit celle qu´aurait
pu détecter un humain, mais elle n´en reste pas moins une
ressemblance, simplement elle dépend de l´ensemble d´apprentissage
et elle est beaucoup moins complexe que dans le cas d´un être vivant.
Reconnaissance de formes et cognition
Perception et cognition sont inséparables. La reconnaissance
des formes jouant un rôle fondamental dans la perception il faut
s´attendre à ce qu´elle soit également fondamentale pour la cognition.
Bechtel [Bechtel 93] y voit même une explication à la notion
d´intentionalité, c´est à dire à la question de savoir
comment les états mentaux portent sur des phénomènes extérieurs
à la cognition. Par exemple une croyance est une relation entre
un sujet qui croit et un phénomène externe: Je peux croire à dieu
sans que celui-ci existe. Dans l´approche symbolique on distingue
deux aspects du symbole: Son référent (objet auquel il
fait référence) et son sens (précisant quelles conditions
un objet doit satisfaire pour être référencé par le symbole): Par exemple
l´"étoile du matin" a pour référent la planète Venus, et pour
sens le dernier objet céleste vu le matin. "Venus" a le même
référent (la planète) mais pas le même sens (deuxième planète la
plus proche du soleil après Mercure, ou encore déesse romaine
de la beauté et de l´amour).
Les répresentations symboliques sont formelles et les symboles,
non contextuels, sont impuissants à relier les représentations
au monde et donc à expliquer l´intentionalité. Or le sens d´un mot
change avec le contexte, par exemple le mot "Venus" n´a pas le même
sens dans "un voyage interplanétaire vers Venus" et "Botticelle
peignit la Naissance de Venus en 1485".
Dans l´approche connexionniste, par contre, le traitement cognitif
est directement issu d´un apprentissage réel, donc dans
le monde, et met en jeu autant la perception que le raisonnement. Les
représentations n´y sont pas arbitraires, bien qu´abstraites.
Dans un réseau multicouche, les représentations codées dans les poids
des couches cachées traduisent la capacité du système à s´adapter
à son environnement. Un réseau a ainsi un but: Maximiser
la ressemblance de ses états avec ceux de son environnement en
minimisant les dissemblances des sorties pour des entrées données.
cette composante téléologique expliquerait partiellement
l´intentionalité. Encore faudrait-il pouvoir représenter
des choses qui n´existent pas: Dans un réseau interactif
des activations peuvent être produites par des retours
d´activités du réseau lui-même, et non pas en provenance de
la couche d´entrée, et pourraient représenter des objets inexistants
(qui auraient produits cette représentation s´ils avaient été présentés
en entrée).
La cognition ne se limite pas à classer ou à reconnaître
des objets mais concerne aussi des inférences logiques appliquées à
des représentations symboliques. L´état stable représentant une forme
dans un réseau pourrait servir d´entrée au système qui reconnaîtrait
ainsi des formes plus abstraites: Les sortie enverraient des activations
vers d´autres zones du réseau ou même vers d´autres réseaux. Une
hypothèse serait que l´activité cognitive supérieure (comme le
raisonnement) pourrait n´être qu´une
suite de reconnaissances de formes de plus en plus abstraites [Margolis 87].
Résoudre un problème pratique consiste à reconnaître une forme et,
en s´appuyant sur ce nouveau savoir, à reconnaître d´autres formes.
Pour apprendre et utiliser un nouveau paradigme il est nécessaire
d´apprendre de nouvelles formes et d´adapter son comportement en conséquence.
Ceux qui échouent dans cette tâche sont dépendants de formes anciennes
dont l´abandon détériorerait leurs performances.
Cependant la méthode la plus couramment utilisée, consistant à
partir d´une matrice des poids aléatoire, n´est pas réaliste: En effet
Piaget [Piaget 77] a montré que tout développement cognitif part d´un
petit nombre de schèmes innés déjà structurés (sucer, saisir, ...).
D´autre part reste à trouver comment des réseaux pourraient trouver
eux-mêmes le moyen de se coordonner entre eux, c´est à dire de se
comporter de manière
adaptative.
Rumelhart et Mc Clelland [Rumelhart 86] ont donné un exemple
de simulation de processus cognitif évolué en montrant comment des
réseaux connexionnistes pouvaient expliquer l´apprentissage, par des
enfants, de la forme du passé dans la langue anglaise. Il
existe trois stades:
1) Apprentissage du passé de quelques verbes, réguliers et irréguliers.
2) Apprentissage de la formation du passé des verbes réguliers
par ajout du suffixe ed. On constate un phénomène de
surgénéralisation, le passé de come devenant comed ou camed,
au lieu de came, même s´il a été appris au stade 1),
le passé d´un verbe inexistant, comme rick
étant correctement formé en ricked.
3) Transition progressive vers la production correcte des
verbes réguliers et irréguliers.
Il s´agit d´un développement caractéristique(en forme de "U"):
La performance, d´abord forte, passe par un minimum, avant de se stabiliser
à une valeur haute.
Rumelhart et Mc Clelland ont construit un réseau binaire à deux couches,
fonctionnant comme associateur, avec une fonction d´activation
sigmoide et stochatique comme dans les
machines de Boltzmann,
un apprentissage basé sur la
règle du delta
et utilisant un codage contextuel des
phonèmes (les phonèmes encadrant le phonème à coder). Ce résultat est
à mettre en parallèle avec le développement d´un savoir-faire mis
en évidence par Dreyfys (voir 4-3-1).
Un modèle simplifié de cette simulation est la règle du 67:
La couche d´entrée et la couche de sortie comportent chacune
8 unités binaires (numérotées de 0 à 7).
Le réseau apprend à transformer des entrées
données (Ei) en sorties données (Si)
(i variant entre 0 et n-1), c´est
à dire apprend une règle sans que celle-ci ne soit formalisée.
En l´occurence la règle était que S[0,5] = E[0,1] et que S[6,7] != E[6,7]
(d´ou le nom de règle de 67 qui exprime que E[6,7] changent de valeurs)
et l´ensemble des entrées de l´apprentissage comprenait 18
configurations (qui est redondant par rapport aux 8 configurations
linéairement indépendantes d´entrées permettant au réseau d´apprendre une
correspondance arbitraire avec les sorties).
Puis l´apprentissage est repris avec un couple
(En+1,Sn+1) violant cette règle (exception)
par exemple:
En+1=(0,1,0,0,1,0,0,1) et Sn+1=(0,0,0,0,1,0,1,0)
On constate expérimentalement une courbe d´apprentissage en "U"
en accord avec la variation de compétance d´un enfant apprenant la
règle du passé.
La réduction des théories
Le principe de la réduction des théories ne tient pour
valables que des théories se réduisant à d´autres plus fondamentales.
La raison invoquée en est que les sciences physiques procèdent ainsi et
que ce serait introduire une forme de dualisme que de refuser,
par exemple, que la cognition ne se réduise pas aux neurosciences. Les
théories
fonctionnalistes,
(selon lesquelles les états
mentaux sont définis par leurs interactions avec d´autres états
mentaux, indépendamment de leur support matériel),
puis les théories
symboliques,
(qui, faisant des règles de
production de symboles la base de toute cognition, sont des théories
fonctionnalistes),
refusent ce réductionnisme.
Fodor [Fodor 74], critiquant le connexionnisme,
soutient qu´il existe des sciences spéciales, comme
la psychologie ou l´économie,
auxquelles ne s´applique pas le principe de la réduction des théories.
Par exemple la notion d´argent ne s´explique pas en termes de sciences
physiques, bien que ce concept puisse s´analyser scientifiquement
dans le domaine de l´économie.
Sans adhérer complètement au principe de la réduction des théories,
il faut quand même observer qu´une interaction entre sciences
de niveaux différents a toujours été source de progrès et il n´est pas interdit
de penser que neurosciences et cognition pourraient s´enrichir
mutuellement. Darden et Maull [Darden 77] appellent théories
interchamps les théories transversales reliant des sciences
de niveaux différents: C´est le cas du connexionnisme qui
propose des modèles acceptables par les neurosciences et qui fournit
des méthodes de représentations par reconnaissance de formes capables
d´expliquer aussi bien les apprentissages des êtres vivants que les
processus cognitifs les plus évolués.
Représentation et perception
Perception et mouvement
Chez tous les êtres vivants la perception ne serait d´aucune utilité
sans la possibilité de bouger, de même la mobilité serait impossible
sans une perception capable de l´ajuster à la réalité. Il est donc
évident que perception et mouvement sont coordonnés [Berthoz 97] [Viviani 98].
Le mouvement peut avoir pour fonction de repositionner le système
sensoriel, afin d´ajuster une action au monde réel: Par exemple
les mouvements de l´oeil permettent d´explorer le champ visuel,
ils peuvent être suivis d´un
mouvement de la tête ou même d´actions plus complexes comme la marche.
Mais la motricité ne se borne pas à rendre possible la perception,
cette dernière étant fondamentalement de nature dynamique: Les
mouvements exploratoires sont volontaires, ce qui suppose
une intention qui n´est pas un simple retour d´information depuis le
monde. De plus les repositionnements du système sensoriel induisent
des changements de la perception elle-même: Par exemple les saccades
de l´oeil changent radicalement l´image rétinienne, les mouvements
de la tête changent le référentiel lié à l´oreille interne. Ces
changements sont utilisés pour anticiper les actions: Par exemple
la dilatation de l´image rétinienne dans un mouvement en avant
renseigne sur la vitesse du déplacement et peut servir à évaluer
la distancs à un obstacle.
Qu´est-ce que représenter ?
Une carte représente un territoire, mais il est bien connu
que "la carte n´est pas le territoire".
La carte, comme modèle,
n´est opérationnelle que pour une conscience l´utilisant et, donc,
si la représentation interne était statique il faudrait une autre
représentation interne pour l´interpréter, ce qui induit une
description en abîme. Il faut envisager la représentation
selon trois modalités:
1) Dynamique, d´abord: Les changements de perception font
partie de la représentation: Nous ne percevons en fait que des
différences, et un monde totalement immobile ne serait pas
perçu: Par exemple il existe des neurones codant directement les
déplacements perçus sur la rétine.
2) Ces variations permettent la prédiction par extrapolation:
La grenouille peut déclencher la projection de sa langue dans la
direction ou se trouvera la mouche à l´instant de leur rencontre
en se basant sur la vitesse de l´insecte.
3) Les représentations sont productives en ce sens que
non seulement elles préparent l´action, mais encore elles contiennent
l´action à venir: La capture de la mouche par la grenouille, par
exemple, ne se réduit pas au résultat d´une prévision, mais est
aussi la dernière étape d´un processus intégrant perception et
mobilité.
Chez les êtres évolués, comme l´homme, un système de représentation
cognitif s´est développé sur la base d´une simulation symbolique
(se traduisant en désirs, croyances, buts, ...)
lui permettant de réfléchir avant de
passer à l´acte. Cette capacité, donnant un avantage certain
sur des prédateurs qui n´auraient pas cette faculté, a été un élément
de survie et sélectionnée, comme telle, par l´évolution. Certaines
réactions primaires (comme celles provoquées par l´image grandissante
d´un objet se rapprochant) sont cablées dans le système
nerveux, leur étude a conduit à reconnaitre le rôle fondamental
de la motricité dans les représentations.
Par exemple l´analyse visuelle d´une scène se fait par de nombreuses
et très rapides saccades de l´oeil (environ 3 par seconde)
engendrant une succession d´images rétiniennes radicalement différentes
(entre deux saccades l´image rétinienne n´est pratiquement pas
analysable). Or le cerveau perçoit un mouvement continu, alors que
la projection continue de la même succession de stimuli n´aurait
provoqué qu´une perception chaotique: Le contrôle moteur des
saccades fait donc partie, de façon très fine, de la perception.
Le physiologiste et physicien allemand Helmholtz (1821-1894) étudiant
la vue, l´ouïe, les muscles et les fibres nerveuses, proposa la
théorie de la copie d´efférence pour expliquer la différence
entre mouvements passifs et actifs: La stabilité perceptive serait
le résultat d´une copie des commandes motrices permettant d´anticiper,
au niveau de la représentation, les décalages perceptifs. Les
informations d´origine motrice sont donc aussi importantes que
celles d´origine perceptives, comme le montre l´exemple du garçon
de café: L´équilibre du plateau est maintenu par la pression
de ce dernier sur les doigts, il est perturbé lorsque quelqu´un d´autre
enlève une tasse, mais il ne l´est pas lorsque lui-même
l´enlêve, car, dans ce dernier cas, l´acte d´enlever la tasse est
anticipé et integré dans l´évaluation de l´équilibre futur qui résulte
donc d´une intentionalité.
De même la perception de la parole est le résultat des intentions
phonatoires du locuteur représentées, chez l´auditeur, comme les
commandes motrices du locuteur: La compréhension de la parole passe
donc par l´évocation de l´articulation physique de cette parole
(c´est pourquoi les sourds sont très souvent aussi muets). Plus
généralement la perception est tributaire des mécanismes moteurs,
les informations sensorielles sont mélangées à des signaux liés
aux commandes motrices, les sens étant alors des générateurs de signes
et pas seulement des organes de mesure [Berthoz 98].
Une expérience, réalisée par Johannson, permet d´expliquer les
difficultés d´interprétation de la motion capture:
Deux danseurs, une femme et un homme, équipés
d´un système de capture optique, sont enregistrés. Sur une image fixe
il n´est pas possibl de reconnaître ni les mouvements, ni même les
corps, alors qu´en diffusion continue, on perçoit très nettement
la danse et l´on peut distinguer les deux danseurs. Ce paradoxe s´explique
par la connaissance implicite des mouvements des danseurs qui suffit,
alimentée par des stimuli visuels partiels, pour reconstruire,
au niveau de la représentation, la scène (c´est le concept de
perception théoriquement informée) (voir 4-3-2).
La relation perception-motricité se généralise en
relation perception-pensée: Il revient à Piaget [Piaget 77]
d´avoir vu l´origine de la pensée dans le développement du système
sensiromoteur, les prémisses de la connaissance naîtraient de
l´exercice de certains comportements innés (succion ou saisie), le
codage, au niveau du système neuronal, des transformations
assurant le passage d´un état réel à un autre, permettrait
d´expliquer comment se forment par exemple les concepts abstraits
de la géométrie. La perception passive ne fournit
que des cartes qui ne prennent sens que par l´action.
Parce que, pour percevoir le monde, nous devons l´explorer, la
perception suppose l´action. Mais aussi, parce que, de la construction
mentale du geste jusqu´à sa réalisation, le cerveau construit des
stratégies intégrant des informations sensorielles, l´action
suppose la perception. Il est impossible d´agir sans représentation
du monde, il est impossible de se représenter le monde sans y agir.
C´est la raison pour laquelle les modèles connexionnistes, qui
construisent des représentations lors d´apprentissages, semblent
être une voie de recherche très prometteuse en ce qui concerne
la simulation du vivant et même, à travers la robotique et la
vie artificielle,
en ce qui concerne sa
(re)création.
Application à la création artistique
Des termes aussi vagues qu´inspiration,
révélation, génie ou transcendance
ne suffisent plus à expliquer une activité aussi structurée que
peut l´être la création.
Nous l´envisagerons plutôt comme ce double mouvement par lequel un
sujet (artiste ou spectateur) recrée une représentation du monde
en y agissant. L´action de l´artiste allait de soi, celle du
spectateur ne l´est devenue que depuis l´apparition du concept
de participation dans l´art [Popper 80].
Aujourd´hui les oeuvres interactives (installations artistiques,
CDROM, cyberart, ...) reposent avec force les rapports de
l´art, de l´action et de la représentation.
Il y a longtemps que l´on sait que le "modèle c´est l´oeuvre",
mais cette interaction oeuvre-créateur n´était conçue que sur le mode
réactif.
Avec les installations interactives
sont apparus les
systèmes perceptifs,
puis,
plus récemment, les
systèmes adaptatifs,
conduisant une reflexion orientée dans le sens de la
vie artificielle,
L´espace plastique proposé aujourd´hui
par les artistes est:
Perceptif, dans le sens premier où le spectateur perçoit l´oeuvre,
mais encore dans le sens où le système lui-même, doué de perception, construit
une représentation de l´oeuvre, des processus qui l´ont fait naître,
du spectateur et de sa perception.
Adaptatif ensuite, dans le sens où des processus non
déterministes, issus
d´apprentissages, créent une vie totalement imprévisible
bien que plausible et cohérente, tout à la fois condition
et expression d´une nouvelle émotion esthétique.