PARCOURS
Mon penchant pour les mathématiques était intimement lié à des
préoccupations d'ordre plastique, je m'interrogeais en effet
sur les problèmes de représentation spatiale, et singulièrement
en géometrie non euclidienne. Ces recherches théoriques
trouvaient un écho dans une pratique de la peinture, très
influencée par l'art moderne (surréalisme, abstarction, Op-Art) et je ne
manquais jamais, lorsque je montais à Paris, de visiter le
Musée d'Art Moderne, le Louvre et ... le Palais de la Découverte.
Peu motivé par la perspective de devenir ingénieur, je décidais
d'opter pour l'enseignement et passais mon CAPES à l'Université
de Lyon.
Désireux de découvrir d'autres cultures que la mienne,
je partais, au titre de la Coopération, dans un périple de 7 années
qui devait me conduire en Afrique du Nord, em Amérique du Sud et en Asie.
Je combinais mon travail avec de nombreux voyages et
une production picturale soutenue: Le Sahara, l'écriture, l'artisanat et la
musique arabes.
Les civilisations précolombiennes, la musique des "barrios"
de Caracas et de Rio, les indiens de la forêt Amazonienne.
Puis les mosquées du Moyen Orient, d'Iran, les temples Indiens et
Thailandais, le théatre et la musique Balinaise, le Viet-Nam et la
civilisation chinoise.
Chaque fois de nouvelles perceptions, de nouvelles musiques,
de nouvelles esthétiques, de nouvelles cultures, se traduisaient
en peintures. A Caracas j'exposais à la Galerie "Los Barrencos" une
vingtaine de grands tableaux (peinture à l'huile), à
Saigon j'exposais de grands collages (6 mètres par 2 mètres 50).
De retour en France, en 1972, des maladies contractées au
cours de mes voyages, et des difficultés personnelles, me tinrent
éloigné, durant plusieurs années, de la création.
En 1975, alors que, assez démuni, je fréquentais
le restaurant universitaire de Vincennes, par le plus grand des hasards,
je passais devant une porte sur laquelle était écrit "Art et Informatique".
Surpris (comment pouvait-on faire de l'art avec un ordinateur ?), mais
intéressé (mathématique et peinture auraient-elles à voir avec ces
nouvelles machines ?),
je poussais la porte et vis
Hervé Huitric occupé à de très étranges manipulations. Je
m'informais, puis m'engouffrais dans cette nouvelle aventure.
Engagé comme chargé de cours à Vincennes,
suivant des cours du soir à Jussieux pour apprendre l'informatique
(discipline dont j'ignorais tout), tout en enseignant à mi temps
dans le secondaire, je me mis à la programmation d'images: A l'époque
il n'y avait que des micro ordinateurs extrêmement rudimentaires sans aucun
logiciel. Ce fut une chance: Tout était à inventer ...
Je ne perdais pas de vue pour autant mes préoccupations de
peintre, mais cette fois en y ajoutant le mouvement: Mes
tableaux devinrent des programmes interactifs en temps réels
et des films de synthèse, j'en fis de très
nombreux, dont certains obtinrent un certain succès.
Grâce a Frank Popper je passais une thèse de troisième cycle,
puis un doctorat d'état d'un genre nouveau,
à la frontière de l'art et de ce que l'on commençait à appeler les
"nouvelles technologies".
Avec les musiciens
du
GAIV
(Groupe Art et Informatique de Vincennes qui regroupait des
personnalités très diverses: Musiciens, poëtes, peintres, linguistes,
informaticiens, ...) nous nous
produisions en concerts "live" au cours desquels de la musique
électronique et des images interactives étaient génerées en
temps réel. Aux commandes
d'un micro ordinateur, je contrôlais des animations colorées,
en suivant la musique, grâce a un programme interactif (sorte
d'"instrument d'image" que j'avais écrit en assembleur): Il devait
dorénavent remplacer mon pinceau.
A mesure que je pénétrais le monde de l'informatique,
je m'interessais de plus en plus aux langages et décidais de
concevoir un système original (anyflo, entièrement conçu et réalisé par
un artiste) dont les pressuposés étaient d'abord plastiques et
secondairement techniques. Je critiquais
fortement les logiciesl du commerce écrits par des ingenieurs,
souvent depourvu de culture artistique, qui cablaient dans leur code
une véritable "esthétique implicite",
qu'en tant qu'artiste, je refusais absolument. Je m'élevais d'abord contre
la trop fameuse "perspective", considérée comme un
dogme incontournable, la seule à laquelle pouvaient accéder les artistes au travers de ces
logiciels. Je critiquais ensuite les méthodes d'animation,
calquées sur les techniques traditionnelles, la modélisation
d'objets considérés comme appartenant nécessairement à une
scène tridimensionnelle, et le "tout souris" qui maintenait
l'artiste dans un rôle purement manuel, tres éloigné des potentatialités
de la machine.
A partir des années 90 je m'interessais à
l'animation comportementale, qui rompait radicalement avec le monde
des objets de la synthèse classique pour se rapprocher du
vivant. Celà s'accordait d'ailleurs très bien avec l'interactivité
qui réhabilitait le rôle du corps (la "participation").
A partir des années 95 je découvrais la littérature sur le
connexionnisme et
implémentais des réseaux neuronaux sous la forme de
petits cerveaux que je greffais sur mes créatures. Du coup elles
prenaient une certaine autonomie et j'expérimentais une façon plus
libre de créer.
Dans le même temps le problème de l'interactivité me tenait
toujours à coeur et, avec Edmond Couchot et Marie-Hélène Tramus,
je concevais des installations artistiques interactives: Ce fut
d'abord "La Plume et le Pissenlit", puis "La Funambule
Virtuelle", puis "Danse avec Moi", autant d'expérimentations
qui nous amenèrent à nous intéresser au cognitivisme, à
l'évolutionnisme (j'implementais à cette occasion les
algorithmes génétiques), mais aussi à la
perception: Ainsi, avec le
professeur Alain Berthoz du Collège de France, nous nous
sommes penchés sur les problèmes
de la perception-action (du spectateur mais aussi des êtres virtuels).
Renouant avec les sources historiques de l'informatique
(les machines intelligentes de Turing, les automates de Newman
et de Langton, la Cybernetique de Weiner), tout en utilisant les
dernières avancées des neurosciences, cette démarche replaçait
le corps au centre de la création artistique: Non pas le corps
réaliste de la synthèse, mais le corps senti et "acté" du spectateur
se découvrant, dans l'interactivité, une nouvelle perception, la
sienne propre et celle de la machine. Il fallait dorénavant parler
de Vie Artificielle et repenser le statut du créateur,
de l'oeuvre et du spectateur.
Mais le point fondamental était cette convergence d'une pratique
artistique avec des modèles scientifiques qui se faisait,
non plus sur un mode
calculable, mais vivant.
Les arts du spectacle que sont la danse, la musique, le cirque
étaient alors un champ tout désigné pour nos expérimentations,
nous en sommes là aujourd'hui.